José ANGELAUD
Signaux naturels et repères subliminaux
1997

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Signaux naturels et repères subliminaux

Il n'y a pas de propos critique dans cet aristocratique travail ni de raisonnement social dans sa pure acception. Mais il y a la tentative d'une mise en relation du milieu naturel et millénaire avec celui de l'homme cultivé aujourd'hui. Christophe DOUCET rétablit un contact entre "le naturel de l'homme et le civilisé de la nature". Il rénove les objets simples qui sont à l'origine de la sensualisation de notre relation au monde et, par là, ravive les images et les actions qui nous engagent dans la nature. Il donne lieu à une réflexion capiteuse de l'homme dans sa relation à la nature et glisse l'homme jusqu'à sa pure nature. Christophe DOUCET relève la mutation de notre distanciation à la nature par les techniques sophistiquées de médiatisation et y injecte de la présence matérielle, pure.

Chaque jour depuis qu'il est entré aux Beaux-Arts, Christophe DOUCET médite les promenades solitaires et communicantes au sein de ce milieu qui le cercle et l'emploie : LA FORET.

Parc clos, La Forêt des Landes est à la fois finie et infinie. Elle est le plus grand parc naturel d'Europe et par son importance développe une industrie sophistiquée de transformation du bois en meuble ou papier ; autrefois, la résine y était aussi fabriquée. Cette sophistication témoigne sur un autre plan d'une obsession très poussée dans notre siècle pour le recyclage et la gestion artificielle des lieux de passages pour des transformations diverses. Christophe DOUCET produit son travail dans une ancienne usine de distillerie de résine qui se trouve être devenue un lieu de transformation du bois en objets sculpturaux.

Dans la forêt, des bûcherons et des industries travaillent à cette transformation du bois par une chaîne d'actions diverses, marquages, coupe, etc..." L'art, n'est-ce pas, comme le disait F. Dagonnier, la poétisation des techniques" et Christophe DOUCET affirme dès le début de son œuvre, dans ses dessins, photos ou objets, une poétique des lieux de passages et de recyclages du bois et de la forêt.

C'est dans la forêt que Christophe DOUCET a commencé ses recherches aux Beaux-Arts et il n'a cessé d'y entretenir des errances, des marches, comme des véhicules pour le conduire en outre, capturant des messages de soi. La forêt est un lieu de marche, et figure du monde naturel. C'est un espace ouvert à soi-même et dans le parcours que l'on y dessine. Et si l'errance y est comme l'attitude unique, c'est que l'on y assiste à la vie privée du monde. En paraphrasant Socrate, on pourrait dire que la forêt est le lieu visible de l'être intime. C'est à dire qu'il permet un retour de soi et aussi une lecture métaphorisée de l'être. Qui, en effet, n'a jamais cru retrouver, dans les méandres d'un bois, l'image de ses pensées, ou, dans le vent circulant doucement, une sensation familière par le bienêtre étrange que cela procure ; qui enfin n'a jamais entendu de voix dans le chant des oiseaux rythmant une promenade? Alors, la nature du monde est une face de la nature humaine.

Christophe DOUCET a retenu, non seulement les visions génériques et culturelles de la forêt, mais aussi l'implication de l'homme attiré en lui à l'intérieur de ce milieu. Il y a certes ces possibilités de retour à l'origine : éprouver une sensation d'Adam dans l'immense forêt landaise. Mais Christophe DOUCET considère l'homme dans une situation face à la nature dans le danger de la machine industrielle et "cherche à travers ces outils à engager un processus de resensualisation de notre relation à la nature et par mimétis­me la renaissance des formes essentielles.

Mais, en faisant cela, il ne se laisse pas glisser dans les sources romantiques de l'ins­piration de la nature ni dans les accommodantes subtilités de Lucrèce. Le DE LA NATU­RE de Christophe DOUCET virtualise la forêt. Un Spinozisme qui donne la natu­re comme un violeur divin de la conscience technicienne. C'est-à-dire la présentation sensationnelle de la nature en état d'outils en soi-même. Dans son travail, il la donne comme état mental des sources de vie, et des fonctions nécessaires indispensables que la forêt appelle chez l'homme. C'est donc comme état de nature constant et présent qu'il considère la forêt, mais aussi comme constituant l'homme et son  histoire  dont  elle  est l'écho. Car la nature fait signe à l'universalité. A sa conscien­ce que la nature c'est aussi sa nature ; de cette même façon nous ne saurions vivre (dans le sens de savoir vivre) sans cul­ture, c'est-à-dire sans passé, c'est-à-dire sans mémoire donc sans savoir ; pour être homme, il faut être dans sa nature. Le travail de Christophe DOU­CET pointe l'espace naturel (par le bois, la forêt) et consti­tue un parc qui formule l'unité de l'homme à la nature.

Climat d'amour en parc clos

Deux sources sont à l'origine des recherches plastiques de Christophe DOUCET, le Land­ Art et le minimalisme; deux recherches historiques de la spatialisation des formes.
Christophe DOUCET a com­mencé son travail de virtuali­sation de la forêt par des traces expressionnistes lancées dans les dessins au  hasard de sa spontanéité. Rattaché de façon directe aux expériences for­melles du minimalisme, Christophe DOUCET a réuni d'abord le lyrisme et la forme minimum. Il jetait des signaux dans l'encre où, avec des sty­los et par des gestes immé­diats, il captait des instants dans l'espace, géométrisant ainsi l'espace de la feuille et le temps de s'en emparer.

Ce travail a été prolongé et soutenu par des reportages photographiques portant sur des signes laissés en forêt par des mains d'hommes se signant du même coup comme trace humaine. Ce sont des morceaux de tissus noués à un arbre, des plastiques cloués aux troncs, des marques de peinture ou encore des bois plantés avec des plastiques de couleurs à l'extrémité. Tout cela est déposé sans y penser, abandonné aux intempéries et oublié par l'homme et finit par être avalé par la forêt. Ces traces apparaissent comme des marques territoriales qui dessinent  et  organisent  un espace, elles organisent des réseaux de reconnaissance et de distinction simples. Une possibilité de visibilité par le minimum nécessaire pour activer la conscience et se retrouver dans l'espace laby­rinthique de la forêt.
Dans ce lexique formel des signes oubliés déposés en toute inconscience esthétique, Christophe DOUCET observe ce qui le conduira dans les années 80 à l'invention de signaux taillés dans la tôle ou le bois (parfois associés) comme des figures qui, pla­cées en forêt, se "jettent" au regard de celui qui les voit. Elles invitent aussi à circuler autour pour y observer dans les percées des cadres pour le paysage. Le paysage entre déjà dans la sculpture. Ces énormes structures formelles entretiennent, par l'interaction quelles produisent avec le paysage, une réponse aux sen­sations de la nature en soi et investissent une idée du parc philosophique. Aussi, l'étude du Land-Art, portée sur la signalétique forestière, a formé ses pièces comme le
passage de la forêt au parc sur l'idée de l'élaboration du Jardin de paradis, nature secrète, culture de l'espace et philosophie de la nature, tel est le PARC.
Les structures énormes surgies d'un geste immédiat pour apparaître dans des matériaux durs ont évolué vers des formes cherchant un contact de plus en plus réflexif et imagé avec la forêt. Dans les années 90 est venue successi­vement l'élaboration de mou­vements inhérents aux struc­tures cherchant une relation avec les éléments (terre, eaux, feux, air) et l'homme. De même, l'étude de formes à claire-voie a porté le travail à un développement de visions raffinées du sexe Homme et Femme, formes reconnais­ ables et confondues en esprit, car "l'esprit est à la fois mas­culin et féminin" (Bachelard). Ces recherches vont arriver aux portes de la maestria et découvrir des monstres pria­piques insoupçonnés où la poésie érotique s'infiltre dans le matériau rude et dur, robus­te et quasiment  brut. L'acte sculptural  de  Christophe DOUCET est bien de laisser le matériau trembler à vif, mais c'est en dérivé que le travail porte sur les actes et fonctions sexuelles.
L'évènement se fait à taille humaine, il apparaît à l'échelle d'une présence humaine et se laisse rêver. Comme les sculp­tures-cuillers d'Afrique, ces pièces ont, outre leur fonction désignée dans le nom (PINCE, COUTEAU...), une  grande capacité anthropomorphique. Le gigantisme du volume sexuel n'est pas sans rappeler certaines célébrations de l'an­tiquité. Mais ici le sexe se déclare comme l'image désor­mais unique et possible de l'amour. Faire l'amour c'est être surtout dans le sexe, dans l'unité avec l'autre, à travers les sexes. Christophe DOU­CET décanille d'un seul coup la statuaire ridicule de l'amour fléché, et le replace dans son milieu favori, car aussi sauva­ge, la nature. L'amour naît d'elle et Christophe DOUCET forme un parc pour son éclo­sion subliminale"

Ces déclarations plastiques se sont produites dans la lucidité de la fonction sexuelle vitale. Par elle, on peut faire, aussi, toute une lecture des rapports de la sculpture avec la forêt chez Christophe DOUCET. C'est ce qui lui a permis, dans ces visions prémonitoires de la nature et du sexe, d'orienter son travail sur la présence vitale constituant pour l'hom­me un repère, une reconnais­sance, et une renaissance de sa nature universelle.
La recherche de la vitalité des formes ou de la forme vitale est à la source des réflexions de Christophe DOUCET et développe une stratégie sur leur essence et l'instinct qu'elles induisent.
Déjà anticipés dans quelques travaux sur les signaux et les sexes, on les retrouve dans une dérive qui ouvre deux voies, deux réflexions : les Cabanes et les Outils.
Deux constituants et primitifs instruments dont l'homme a eu besoin. Premiers objets. Nécessaires à... et échos à l'ins­tinct. Il a porté en somme sa réflexion sur les minimalistes à son aspect de nécessité et réinvesti à cette "esthétique" du peu une envergure natura­lisante du geste de l'urgence, de la sensation pure, la vitali­té, où à travers sa présence défile toute la culture naturelle de l'homme.

Probabilité de la reformulation primitive de la culture naturelle de soi

Les Cabanes nées au début des années 90 sont encore des lieux minimums et justes dans l'axe d'un premier dialogue de l'homme face à la nature. Elles ont suivi l'apparition des Outils et sont souvent directe­ment associées à eux dans la mise en place. Les Cabanes sont des déplacements de cre­vasses naturelles de bois ser­ties de métaux ou laissées brutes ou encore elles sont des montages de coffres de bois surélevés.
Elles offrent un espace d' ac­cueil, des creux protecteurs, la reformulation d'un corps soli­de qui habille et structure une autre pensée de lui-même, mais surtout elles en appellent à lui, l'invitent et le sollicitent. Elles sont de différentes tailles et apparaissent comme des trous noirs ou plus récemment comme des réceptacles scé­niques pour le corps. Elles peuvent protéger, suspendre, rendre apparent...
Habitat minimum, nécessaire à vivre et abris qui définissent un corps double et autre.
Dans cet environnement de forêt, le bois à l'état sauvage s'apprivoise sous l'aura de protection. Des instincts de défense et de survie avec en échos les préoc­cupations contemporaines. Ici, il s'agit dans un retour à l'espace d'une quête de la présen­ce vitale, des instincts mater­nels de cerclage se fondent aux Cabanes : à la fois délimitation et cadre, les Cabanes repren­nent le thème des sculptures marques entamées dans les années 80, fascination de signaux qui limitent l'espace le marquent et le tracent. La Cabane est un repère visuel en une sorte de ventre construit comme dans les souvenirs infantiles de l'isolement, de la séparation et de l'unification.

Les Outils sont aussi issus de cette réflexion sur le dialogue vital avec la nature ; souvent de forme phallique, ils sont placés dans les Cabanes, ou encore isolément. Souvent fabriqués comme des objets de prolongement humain.

Ils ouvrent des propositions à l'acte imaginaire et s'imposent dans une présence archaïsante qui ravive d'anciennes pulsions vers la fantasmagorie d'universels désirs vitaux dont la violence ou la déchirure, la douleur et ses plaisir ambigus.

Ce sont, selon l'expression de A. Semprini, des "outils frontières".
A la frontière de plusieurs mondes et ouvrant des réseaux de signes sur l'impul­sion du monde en soi-même, de multiples coïncidences sont alors possibles entre actions et pensées. Les Outils sont des états de relation et de média­tion entre la nature de soi et la nature du monde, cela sous forme de présence ; ils en appellent ainsi à l'évènement naturel des premiers devoirs de l'homme dans le monde, de médiation de la nature à sa nature, c'est à dire la culture. Aujourd'hui, la vision de la nature est transitée par la pol­lution, l'ozone, et nous crispe sur un rapport naturel de confiance.

Les Outils et Cabanes de Christophe DOUCET nous portent aux sources de l'in­quiétude dissimulée dans la nature elle-même. Les troncs de platanes saisissants d'an­thropomorphismes sont mis en place pour une invite tacti­le. Les outils sont latents d'une préhension et dégagent ainsi un vaste champ d'actes sous-jacents, des cruautés physiques au plaisir, d'exploi­tation du monde autrement. Ils nous renvoient à des ques­tionnements. Des questions sur nous-même dans le monde et notre façon "d'être au monde". Celles qui interro­gent la civilisation, et la cultu­re dans sa fonction d'imagi­naire.

José ANGELAUD