Jean-Loup BEZOS
Lorsque j'ai appris que Christophe Doucet ...
2024

Chapelle Saint Jacques, Eauze 2024

Lorsque j'ai appris que Christophe Doucet et Jean Bernard Laffitte allaient être associés pour une exposition en commun à la chapelle St Jacques d'Eauze je me suis demandé ce qui, sur le plan purement plastique pouvait les rassembler, outre leur amitié dont je savais quelle remontait à plusieurs dizaines d'années. Du coup, j'en étais resté, à naïvement penser qu'il s'agissait, ici, exclusivement de la célébration de leur amitié. Quand, me vint l'idée de donner un coup de fil à Christophe, afin que ce texte que j’avais promis à  Jean Bernard, ne soit pas cousu de banalités superfétatoires.

J’appris dès lors que les deux complices avaient tous deux trempé leurs mains, durant leur scolarité, dans les mêmes bains photographiques en s'initiant à la technique de la photo enseigné au lycée agricole Saint Christophe de Masseube. En fait dix ans d’écart, me corrige Christophe, ont séparé leur apprentissage photographique à Masseube.

C'est dans cet établissement que Jean Bernard rencontre sa vocation pour la photographie. Et à partir d'ici, qu'une relation amicale va se nouer entre Jean Bernard et Christophe, compagnonnage artistique qui, au dire de Christophe, s’avérera fructueux.

Si bien que Christophe, voyant Jean Bernard devenu photographe professionnel, installé dans sa région
natale, dit avec enthousiasme à quel point il éprouve à ce moment de l'admiration pour le photographe célébrant avec ses images captées de poète-ethnologue sa chère région du Gers. Christophe ajoute qu'il y trouve une parenté avec quelques grands peintres paysagistes.

Le célèbre physicien Richard Feynman disait : "Le réel est la superposition de tous les possibles imaginaires". Nous voici donc dans le dénouement de mon questionnement à propos de l'association ici des productions de nos deux complices : "superposition de plusieurs imaginaires possibles"

  • Une amitié qui produit une rencontre, artistique.
  • Un regard, celui du photographe débroussailleur, arpenteur-accumulateur, façonnant des associations improbables qui inspireront le sculpteur.
  • Ce regard aiguisé que vante Christophe Doucet parlant de son ami Jean Bernard Laffitte qui lui permit d’accéder parfois à ce que, de lui-même, il n’avait su voir : il s'en nourrit.

Le sculpteur va devenir d'abord forestier pour des raisons alimentaires. Landais d'origine la forêt est à sa main. Marquage des pins à abattre, marquage des limites territoriales à déboiser, le sculpteur en fait son miel, tout comme les outils qui sont d'apparence inutile, extrêmement poétiques. Tant qu’on ignore leur utilité ils sont comme des objets abandonnés par une civilisation inconnue : sculpture-concept.

Chez Jean Bernard Laffitte, Christophe Doucet découvre dans la maison où il vit, véritable malle au trésor, des accumulations d'objets chinés - sagacité du photographe-ethnologue, poète des richesses matériels déchues - qu'il réhabilite grâce à des ordonnancements cérémonieux d'une exigence particulière sur le plan plastique : Jean Bernard en a-t-il conscience lorsqu'il organise cette répartition ouvragée avec méthode, ici sur une table, là sur un buffet.

Installations qui inspireront Christophe pour ses sculptures figuratives construites à partir d'éléments hybrides: Lapin homme à bras aux formes de tête de batracien et autres hybrides altiers campés comme des demi-dieux d'une civilisation antédiluvienne.

Les deux complices sont à la recherche d'un mystère qui n'en finit pas de nous échapper, eux-mêmes à sa poursuite entreprennent, peut-être sans tout à fait s'en rendre compte, une recherche à laquelle ils ne savent donner d'autre nom que : sculpture, peinture, photographie, hantés par des réminiscences récurrentes:
- extraits de traces d'images coupées, usées, chez Jean Bernard. 
- Hybrides improbables, animaux totems, tout une population fuit toute définition chez Christophe.
 
Qui sommes- nous après tout, nous même, dans nos existences précaires : le savons-nous de manière certaine ?…

Christophe Doucet a puisé dans la marotte d’accumulateur d’objets inutiles de son ami Jean Bernard le moyen de renouveler le regard qu'il porte sur la sculpture. Nouvelle donne, confirmée par un voyage en Roumanie au cours duquel il se rend compte que le moindre objet agraire dans ce pays a la forme d'un Brancusi. Révélation qu’il interprète comme un lien fort avec sa formation agricole d'origine joint à sa vocation de sculpteur, liens intemporels et mystérieux des vocations artistiques : tradition diront certains, modernité penseront les autres, contemporain de toute éternité quoi qu’il en soit. 

Continuité lors d'un voyage en Corée du Sud, où sur l'île Jeju Christophe découvre des monolithes dont il constate les formes phalliques. Des "Dol Hareubangt" . On dit sur un site touristique qu’ils "sont des statues de pierres qui ressemblent à des grands pères"…
 
C'est grâce au merveilleux bric-à-brac, édifiant bazar, soigneusement mis en valeur, traduisant une inquiétude plastique matinée de rouerie enfantine chez Jean Bernard Laffitte, que Christophe Doucet, conforté par ses voyages à l’autre bout du monde, trouvera confirmation du chemin qu’il a choisi et pourra développer sa singularité personnelle.

C'est avant tout la complicité entre Christophe Doucet et Jean Bernard Laffitte, faite d’antagonismes, de réciprocités certes, mais aussi de contradictions, de différences profondes dans des oppositions de genre pratiquement organiques. C'est par ce chemin tortueux que notre regard devra cheminer dans cette exposition. C’est justement en empruntant ce dédale entre ces deux productions « superposées » que sera convoquée notre curiosité.

"la superposition de tous les possibles imaginaires", nous invite ici à produire, notre propre vision. Et Christophe de conclure à propos des deux sculptures qu’il expose ici : « La sculpture extérieure, celle avec un pneu, fait directement référence à mon travail sur les limites, c’est une sculpture, mais c’est aussi un signe qui marque l’entrée de l’exposition par sa masse, son incongruité, le tout renforcé par ce pneu et cette peinture rouge. La seconde, la blanche, dans le cœur de la chapelle, c’est un tronc de chêne bicentenaire, taillé sommairement afin de garder toute la puissance de l’arbre, et d'y révéler un oiseau, un ange, un trône contenu dans la matière de l’arbre. Tout se passe comme si, l’oiseau, l’ange, le trône existaient déjà »
 
Jean Loup BEZOS, 23 Août 2024
exposition Effigie, chapelle Saint Jacques, Eauze, du 4 septembre au 5 octobre 2024