Didier ARNAUDET
Dans cette sculpture qui se caractérise ...
2007

Dans cette sculpture qui se caractérise par son unité et la pérennité de ses interrogations, il n’est guère étonnant de constater que la question de l’originalité ne se pose pas. Pas de désir de rupture, de radicalisation d’un processus d’investigation. L’enjeu n’est pas d’affirmer une singularité mais de redonner une force à des liens oubliés, de rétablir une continuité entre le réel et l’imaginaire, entre la forme passagère de l’existence et le fond immémorial sur lequel elle se déploie. Christophe Doucet a d’abord le souci d’un monde élémentaire, marqué à la fois par l’enseignement d’une stabilisation qui le fixe et l’exigence d’un élan qui le porte à expérimenter une quantité de variations. Il s’agit de pénétrer dans la substance profonde de ce monde composé d’événements acquis et passés mais qui s’affirme puissamment comme une entité vivante, ouverte à de multiples métamorphoses. Cette attitude manifeste le refus de s’enfermer dans une forme qui renoncerait à aiguiser sa vigilance, oublierait le chaos dont elle est issue et où elle doit constamment se ressourcer.
Christophe Doucet fabrique des cabanes, des outils et des signes qui mobilisent des appels, répercutent des échos, revendiquent une pluralité d’intentions, non dissemblables, non contradictoires, mais correspondant à des nécessités et des qualités d’assemblages engendrées par des réajustements perpétuels pour serrer d’aussi près que possible un temps de vie. Il les donne à voir, invite à les approcher, à en découvrir les énergies et les ressources, les pièges et les ruses, à en déjouer les apparences, à s’arrêter sur les éléments convoqués et leurs polyvalences, à en revivre les rythmes fondamentaux et les mouvements premiers. D’origine naturelle ou industrielle, les matériaux utilisés retiennent l’attention par leur pauvreté, leur densité et leur maniement spécifique. Ils demandent une confrontation physique et donc une affirmation de savoirs techniques. Entre production issue de la nature et fabrication artisanale, importance du métier et transgression des champs de compétence, tout se signifie, tout trouve sa place dans une dialectique de l’innovation et de la régression.
Le matériau n’est jamais un simple support, un moyen d’expression neutre et transparent : il participe activement à la création. Ce qui compte, ce n’est pas sa signification abstraite et conventionnelle, son usage stéréotypé mais la pleine appropriation de son aspect concret qui étrangement le recharge de prolongements sensibles et de résonances poétiques et fictionnelles. Il faut le plier à une maîtrise mais tout en lui laissant une part d’initiative et de jeu. Christophe Doucet additionne, arrange, agence des matériaux antagonistes et les rend complémentaires dans des rencontres inédites où les frontières entre les genres et les logiques s’avèrent étonnamment perméables. Il impose ainsi une sorte d’écriture qui, sous l’apparence de la simplicité et du dépouillement, dissimule une complexité intensifiant les effets de sens et de liaison. Cette écriture émane d’une expérience de la rugosité, de la résistance, de la mobilité, et s’adresse à notre expérience. Elle n’avance pas d’une façon linéaire, passant d’un point à un autre dans une progression déterminée, argumentée mais par cercles concentriques provoquant son élargissement constant, imprévisible par vibrations et retentissements renouvelés.
Cet arbre étêté, surmonté d’un fer tranchant est un outil. Il a une ampleur solide, active qui ne peut se réduire à la simple expansion d’une rêverie. Il conjugue à la fois une violence archaïque et le surgissement de l’immédiat, d’un présent sans déperdition. Pour Christophe Doucet, il y a quelque chose de mieux à tirer d’une matière plurielle, douée d’exigences contradictoires que de confirmer son contour, se servir de sa limite. Il faut l’entraîner dans le mouvement de la vie, l’élever au-dessus des possibilités reconnues, l’associer à l’aventure risquée d’un changement, d’un accroissement, d’un devenir et d’une orientation vers de nouvelles propositions. La sculpture se doit d’être au plus proche du corps qui, pour se protéger, se défendre, s’affirme résolument offensif. La nature n’est pas cet espace de la fluidité dont il suffit d’assurer le transfert. Il faut faire face à son âpreté, son agressivité et savoir profiter de la moindre faille. La construction de cette gamme d’instruments, de refuges et d’indices est dictée par la nécessité d’un combat. Christophe Doucet ne cesse de stimuler la vigueur de ce combat car il sait qu’il n’y a pas de conclusion qui puisse le satisfaire.
Didier ARNAUDET, in Paysages, Mont de Marsan Sculpture, 2007